Dr A.BEHAR
En Sardaigne, “un territoire d’une superficie de 35.000 hectares est loué aux installations militaires. Sur l’île, on trouve des polygones de tir (Perdasdefogu), des exercices de feu (capo Teulada), des polygones pour exercices aériens (capo Frasca), des aéroports militaires (Decimomannu) et des dépôts de carburant (dans le cœur de Cagliari, alimentés par une conduite qui traverse la ville), sans compter de nombreuses casernes et sièges de commandement militaire (Aéronautique, marine) Il s’agit d’infrastructures des forces armées italiennes et de l’Otan.
Quelques chiffres : le polygone de Salto de Quirra- Perdasdefogu (Sardaigne orientale) de 12.700 hectares et le polygone de Teulada de 7.200 hectares sont les deux polygones italiens les plus étendus, alors que le polygone Otan de Capo Frasca (côte occidentale) en compte 1.400. A cela on doit ajouter l’ex-base Otan de “la Maddalena”, à jamais polluée. Pendant les exercices militaires, on y interdit la navigation et la pêche sur une étendue marine de plus de 20.000 km2, une superficie presque égale à celle de la Sardaigne”(1).
LE POLYGONE DE TIR DE QUIRRA – SARDAIGNE
“Non loin des eaux cristallines, du sable blanc et des petits villages sardes, le terrain d’entraînement préféré des militaires et des industriels de l’armement, se situe à QUIRRA.
Dans la vallée de Quirra, les soldats italiens mais aussi les forces de l’OTAN s’entraînent. L’armée loue aussi ces terrains aux industriels de l’armement contre rémunération. Ils y font leurs essais et leurs démonstrations de promotion.
L’état italien récupère ainsi jusqu’à 30 millions d’euros par an.
Une activité lucrative, qu’un procureur est en train de déranger” (2).
1- QUELS SONT LES FAITS ?
Tout commence dans le village sarde d’Escala plano. En 2005, un événement vient rompre la tranquillité de ses habitants.Un agneau mort est déposé devant la porte d’un photographe: Stefano Artitzu, Il s’agit d’un animal porteur de monstruosités physiques majeures. Pour la première fois, ce photographe va proposer un lien avec les tirs menés sur le polygone de Quirra, à proximité des moutons que les bergers laissent paître en pleine zone militaire. A Turin, à l’institut polytechnique, Massimo Zuccheti professeur en radioprotection est contacté pour étudier l’agneau malformé. Voici ce qu’il découvre dans les ossements de l’animal. “Nous avons trouvé dans les os du crâne, dans les os du tibia, du radius et de l’humérus une présence anormale d’uranium, en particulier une concentration importante d’uranium 234 par rapport à l’uranium 238, ce qui n’est pas habituel dans la contamination par l’uranium appauvri.
Janvier 2011: Au tribunal de Lanusei, le procureur Dominico Fiordalisi décide de se saisir de l’affaire. Une affaire qui deviendra le syndrome de Quirra.
. Le 27 janvier 2011, il donne une interview à la télévision locale pour lancer un appel à témoin. Il déclare:
” nous examinons les cas de 160 personnes malades de lymphomes et de tumeurs. Des gens qui avaient été dans cette zone contaminée. Sur ces 160 personnes, 100 sont déjà décédées. Elles avaient un contact direct ou indirect avec l’ exposition dangereuse de cette zone. Ceux qui avaient fait leur service militaire, ceux qui avaient une activité de bergers, ceux qui ont fait le guide touristique spécialement dans la zone de Quirra.”
Le procureur poursuit son enquête dans les cimetières, et demande l’exhumation des bergers recensés Les résultats des autopsies tombent. Contre toute attente, ce n’est pas de l’uranium appauvri qui est mis en évidence, mais la présence d’un autre élément radiotoxique, le thorium.
les scientifiques en trouvent dans les ossements de 10 bergers sur les 12 .
la quantité de thorium 232 présente dans les tibias augmente avec l’âge des personnes décédées, qui ont exercé une activité de bergers dans les zones intérieures du polygone.
Pour le procureur Fiordalisi, cette découverte est déterminante.(2)
D’où vient ce thorium 232 ? Est-il lié à l’activité militaire?
Lorsqu’on consulte la liste des missiles expérimentées sur le polygone de Quirra depuis les années 70 on trouve parmi ces armes, le “HAWK” de fabrication américaine, ou encore le “VETTERO alfa” conçu par les italiens.
Mais c’est le missile MILAN, qui retient l’attention du procureur.
Environ 2000 missiles Milan ont été tirés de 1984 à 2000. Ces missiles avaient du thorium dans leur système de guidage. Jusqu’en 1999, chaque missile milan détenait 2,7 grammes de thorium soit 10989 Bq .Le thorium retrouvé dans les Missile Milan a la même composition que le thorium retrouvé dans les os de Bergers.
Pourquoi le missile anti-char MILAN est pointé du doigt?
Le Milan, est un missile mis au point par l’industrie française et allemande dans les années 70 , un tueur de char qui a rencontré immédiatement un succès commercial.Cette arme sera utilisé au Liban, au Tchad, en Afghanistan ou encore dans le Golfe. 330 000 missiles sont vendus dans plus de 40 pays.
C’est le groupe industriel MBDA qui le produit aujourd’hui, le premier missilier d’Europe. Sur leur site Internet, le Milan est toujours mis en avant.
Un des portes paroles de MBDA explique que le thorium 232 a depuis été enlevé du milan. Pourquoi en 1999 il a été retiré des missiles? Parce qu’il est radioactif pour éviter tout risque (2). Ce missile était équipé d’une système de guidage nocturne avec un marqueur visible en infrarouge; Il s’agit du thorium 232 qui couplé à un cristal émet ce signal par thermoluminescence.
Dans cette affaire, vingt personnes sont actuellement mises en cause par le procureur.Un élu, 7 scientifiques et 12 militaires sont poursuivis. Parmi eux, des généraux, anciens responsables du polygone.
Le thorium, un radionucléide inconnu ?
C’est un métal très dense (Poids spécifique=10) qui existe en abondance (4 fois plus que l’uranium) sur la croûte terrestre. Le thorium 232 est le chef de file d’une famille de radionucléides naturels au même titre que l’uranium 238 que nos lecteurs connaissent bien. Sa période radioactive est de 14 milliards d’années, c’est à dire plus longue que l’âge de la terre. Il y a dans sa filiation de l’uranium, du radium et un gaz appelé “thoron”. C’est un émetteur alpha qui ont un parcours très court, 40 µm, soit 4 fois le diamètre moyen d’une cellule humaine. Il est très peu soluble et très faiblement oxydé et se retrouve dans le sol souvent accroché à l’oxyde de fer. Il a une grande affinité pour les matières organiques et en particulier les colloïdes. Le thorium comme l’uranium a une double toxicité: chimique, comme tous les métaux lourds et radiotoxique. Cette toxicité liée à sa radioactivité est très élevée, bien au delà du plus grand toxique que nous connaissons c’est à dire le plutonium. La limite annuelle d’incorporation du plutonium est de 300 Bq/an alors que celle du thorium est de 90 Bq/an! Il s’y ajoute de plus la toxicité propre de ses descendants.
Sa migration dans le sol est très différente de l’oxyde d’uranium car le thorium est très peu soluble dans l’eau.Il reste à la surface, et migre essentiellement par échange isotopique avec des supports solides. Plus que l’uranium, le thorium 232 peut migrer sous formes de poussières.
La migration dans les organismes vivants est aussi très différente: Il y a très peu de pénétration dans les racines, mais une concentration significative dans les feuilles des plantes situés en zone thorique. L’étude comparée des concentrations végétales place en tête l’herbe mouillée, ce qui est en accord avec les constatations relevées en Sardaigne, puisque les moutons victimes de malformations se situent parmi les troupeaux directement présents dans le polygone de tir.
La migration du thorium dans les animaux se caractérise par une porte d’entrée respiratoire (pour les poussières) et digestive. L’accumulation se fait dans les différents filtres, le foie, le cerveau et surtout les os, avec une stagnation importante. L’élimination urinaire reste faible.
Pourquoi la découverte en Sardaigne d’une pollution au thorium 232 d’origine militaire nous interpelle?
En premier lieu, parce qu’il s’agit encore du prix payé par la population des excès militaires dans les champs de tir, de leur légèreté concernant leur devoir d’élimination de leurs déchets, et parfois de leur inconséquence en qui concerne la destruction des munitions usées présentes sur le terrain de leurs entraînements.
Mais surtout, à cause d’un souvenir douloureux qui marque encore nos consciences médicales, surtout des radiologistes. C’est une catastrophe de la dimension du scandale du sang contaminé, celle du “THOROTRAST”. Ce produit à base de thorium fût utilisé largement comme produit de contraste par exemple pour visualiser les articulations. Les doses délivrées se sont échelonnées entre 2 milles à 2 millions de Bq. Le résultat fût terrible: il y eu une véritable floraison de cancer du foie (3,4,5), surtout des angiosarcomes (6) , des cancers du pancréas et des ostéosarcomes. Les particules de thorium étant très peu éliminées par les urines, cette radio induction tumorale a duré longtemps. On retrouve des cas similaires parmi les travailleurs exposés (7)
Malgré les efforts des médias italiens et en particulier “d’il MANIFESTO” (1), nous ne connaissons pas le devenir de la courageuse enquête du procureur FIORDALISI. Celui-ci rencontre beaucoup d’embûches, comme des tentatives d’étouffements de l’affaire, des enquêtes pseudo scientifiques pour nier les faits et innocenter l’OTAN ou l’armée italienne. Mais il restera les abus inacceptables en terme de santé publique de ses exercices de tirs très lucratifs pour l’état et les collectivités locales, à 50 000 euros l’heure!
La leçon pour nous est cruciale: nous avons beaucoup à faire pour protéger la santé des populations exposées malgré elles à toute cette pollution. La seule voie possible est la prévention, c’est à dire d’abord établir la transparence (celle qui manque toujours aux vétérans des essais nucléaires), l’information et finalement la dépollution autant que faire ce peux. Notre combat pour l’élimination des armes nucléaires comprends aussi la mise en lumière de la nocivité des radionucléides incorporés dans les armements sophistiqués actuels eu égard à leur double toxicité pour les victimes potentielles civiles même si leur utilisation se fait en dehors de tout conflit.
BIBLIOGRAPHIE
1- GOFFI C, VERJAUW R; La Sardaigne, poubelle de l’OTAN et du complexe militaro-industriel, Il Manifesto, 26 janvier 2012.
2- PARET G, notes d’enquêtes pour l’émission “pièces à conviction 90″ Dans les poubelles des marchands d’armes, France 3, mai 2012.
3- MARTLTNG U. MATTSSON A: Mortality after long-term exposure to radioactive Thorotrast, a forty-year folow-up suwey in Srveden. Radiat. Res; l5l(3);293-9, 1999.
4-SRINIVASAN R: Thorotrast and the liver revisited. J. Toxicol. Clin. Tox. 35(2),199-20v, 1997.
5- Van KAICK G, BAHNER ML: Thorotrast-induced liver cancer: results of the German thorotrast study. Radiologe J. 39(8) 643- 51 1999.
6- WINBERG CD, RANCHOD M:Thorotrast induced hepatic cholangiocarcinoma and angiosarcoma. Hum. Pathol.:10(l ):108- 12 1979.
7-LAROCHE P,CAZOULATA: le thorium 232, cet élément oublié de la radioprotection. Arch. Mal. Prof.,59, 7 469-479 1998